qui parle | quel est ce chemin sinuant de l’esprit à la phrase cette invisible alchimie transmuant une impression confuse en envie de dire puis en suite grammairienne de mots aléatoires objets complexes par définition puisque signifiants et signifiés qui parle pour moi le cœur l’âme les sentiments la mémoire l’enfance voire même les préjugés les racismes ordinaires les blocages l’inconscient le rapport à la mère ou tout simplement l’amour la haine en tout cas ce n’est pas la raison ouf car elle nous mènerait droit au plouf pourquoi tel mot me vient en tête plutôt que tel autre est-ce parce qu’il sonne mieux qu’il me parait plus vrai c’est-à-dire conforme à ma vision ce que j’écris dépend-il de mon humeur du moment ou bien d’une inclination profonde qui serait la marque de mon être en quoi mon vocabulaire de crabe aveugle peut-il m’aider à peindre l’essence des choses comment ma révélation maladroite d’un univers intime pourrait-elle prétendre à l’universel et surtout quel est cet enchantement qui donnerait à ma construction hasardeuse et personnelle la volonté imparable d’un parangon de beauté quand je commence une phrase sais-je vraiment comment la finir et quand je débute un texte en connais-je déjà la chute se pourrait-il donc que cette maturation ontologique ne fût que simple hasard rencontre à conclusion indéterminée entre l’homme et son contexte chimie des neurones et de l’estomac une seule chose est sûre le reste n’est que balivernes quand j’ai commencé ce texte je n’avais pas décidé qu’il se terminerait par le mot estoma |
chaise rouge | dos à la mer où rien ne bouge juste une ride la chaise rouge blanche et altière reste impavide au loin les monts vaporisés de brume moite se retransmettent en un frisson leur silhouette au trait chinois quel est le fou pour ignorer qu'ainsi s'asseoir la mer au dos quand vient le soir c'est négliger la beauté fière d’un court instant d’éternité et de repos |
la brume | je suis l’humide gris perlant de gouttes sur le pont salé je suis le voile du marin enrobant le navire pour lui dérober la vie porteuse de poisse je suis la fatalité faiseuse d’angoisse à qui on finit par s’habituer quand je suis là sans m’être annoncée anxieux le marin ne voit plus rien silencieux aux aguets l’oreille tendue il écoute ausculte car il le sait je ne pardonne rien ni l’invisible rocher ni la boussole affolée sur la cote floutée le phare sans veilleur peut se moquer de moi mais que m’importe où son regard porte tenace obstinée d’une infinie patience je tisse ma toile d’ombre et de destin posément je déploie mon filet de mailles à l’invisible ouate enserrant ses proies pour un temps incertain sous la loi de l’indistinct moi juge suprême j'abolirai la frontière entre laideur et beauté pour tout emmêler sans remords le jour et la terre la nuit et la mer la vie et la mort |
enfance | j’aimerai tant retrouver cet esprit d’enfance pétillant d’impertinence où l'on peut en même temps croire impassible aux infinis possibles s’asseoir persuadé que le monde attendra sentir le vent ébouriffer sa vie poser là son évidence sa vérité crue et nue laisser passer les rêves dans ses yeux mi-fermés sans se presser sans se lasser en oubliant le temps l’enfance est sans horloge sans apparat ni toge et dans une moue sans rire montrer qu’on existe pour le meilleur de l'artiste et jamais pour le pire |
les mots que j'aime | je ferai un tapis des mots que j’aime pour que frissonnants tes pieds nus foulent un grand désordre mué en poème chavirant ton âme comme la houle j’accrocherai les mots que j’aime aux arbres pour qu’en marchant tu en fasses des fleurs réunies en bouquets de rose et marbre veines gorgées de couleurs et d’odeurs les mots que j’aime partiront au ciel pour qu’en suivant leur vol tu les transformes en nuages crémeux comme le miel cerfs-volants dansant sur de libres formes je ferai un voilier des mots que j’aime je prendrai ta main avec eux en mer et le soir nous goûterons nos poèmes le soleil roux souriant sur nos vers sais-tu les mots que j’aime seront là quand je partirai vers le grand secret créant une passerelle avec toi où nous marcherons ensemble à jamais |
vieux poète | deux fois trente ans de mes mots flamme épars au vent me forgent l’âme la litanie du mot qui craque écrit ma vie le cœur en vrac |
énergie | d’où vient-elle cette énergie à diffusion lente dans l’esprit le corps je connais sa seule source la beauté pure invisible sans forme intouchable et vibrante pour la sentir je deviens ermite assis sur la montagne contemplant au rythme d’un souffle lent la vallée de mon cœur j’y vois ma vie défiler en pointillé les passants des rencontres n’y sont que des ombres et enfin je les vois les oiseaux libres et chanteurs ravisseurs d’espace dansant en cercle faisant la farandole peu à peu ils se taisent et s’en vont au loin planer en vol longtemps rétrécis à n’être plus qu’un point alors je ferme les yeux les bras tendus tournant mes paumes vers le bas avec encore dans mes oreilles cette merveille le chant des mésanges noires si aigu c’est comme si j’embrassais tout le paysage c’est comme si l’énergie des monts et des brumes l’énergie du vent chaud et humide l’énergie des plaines et des forêts me traversait tout le corps des pieds ancrés en terre à la tête souriant aux anges |
il faudrait | il faudrait que le vent poussant les montagnes et les grands icebergs bâtisse le couloir d'un passage abrité il faudrait que la main saluant comme une feuille emporte avec elle la pensée vers le ciel dans un grand tournoiement il faudrait qu’un sourire pose du bleu sur le gris venant calmer à point les ardeurs opiniâtres des accents aigus il faudrait étreindre les arbres pour que leur frémissement nous parcoure le corps nos pieds prenant racine dans l’histoire du monde il faudrait brûler les regrets dans un grand feu de joie pour que chaque crépitement signe une victoire nouvelle sur la fatalité il faudrait que nos doigts enfin rejoints créent l'invincible lumière empêchant la nuit d'étendre son manteau |
cadavre | il a peut-être rêvé d’un monde meilleur grâce à lui il a peut-être aimé la gloire et le renom s’abattant sur lui puis sont venus les glissements les à-peu-près face aux difficultés rien ne finissait comme il voulait sentant le vent se rafraîchir il a commencé à biaiser roseau trop souple à la bourrasque mille excuses furent bonnes pour ne pas faire ce qu’il fallait souvent il tournait le regard pour ne pas voir les évidences maintenant il a peur de ce qu’il est devenu mécréant lâche et mou pantin de mots et d’opérette l’âme vide et lasse il marche poussiéreux ombre informe et sale cadavre puant le regret et ses pas traînants l’emportent malgré lui vers le tunnel noir |
les portes de la nuit | es portes de la nuit sont prêtes à lever devant moi sans un bruit les voiles du secret le chemin qui m’emmène où je suis sans allié enterrera mes peines tout sera oublié les gris et les blancs les calmes et les vents les secrets les non-dits les vallées et les tourbes la magie de la courbe graveuse d’infini par-dessus mon épaule dans un dernier regard je saurai qu’il est tard et dans la grotte noire le silence criera le terminus des mots les mains se délieront de la beauté des choses rendue évanescente par la fatale pente si longtemps virtuoses les cœurs se soumettront quand au son de mon deuil je franchirai le seuil des portes de la nuit cerbères de l’oubli je n’aurai qu’un regret n’avoir pas su te dire dans un plus grand sourire à quel point je t’aimais |